Nestor Burma 22.Boulevard... ossements by Léo Malet

Auteur:Léo Malet [Malet, Léo]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Polar
Éditeur: 10/18
Publié: 1956-12-31T23:00:00+00:00

CHAPITRE IX

Récit d’Hélène (fin)

Tout retombe dans l’obscurité la plus compacte.

Je ne bouge pas de mon poste d’observation. Le cœur battant la chamade, j’attends le prochain éclair. Il ne tarde guère. C’est un éclair en chapelet, d’une inégalée intensité lumineuse. Le paysage sylvestre se tord toujours sous la bourrasque, mais il n’y a plus personne au pied de l’arbre. Peut-être n’y a-t-il jamais rien eu. J’ai dû rêver, être le jouet de mes nerfs, d’une hallucination…

Je frissonne. Ce n’est pas entièrement de peur. Le froid y est aussi pour quelque chose. Ma chemise de nuit trempée colle à ma peau, et ce serait peut-être un spectacle de choix pour monsieur seul, mais pas pour moi. Je m’assure que la fenêtre tient bon, je tire le rideau devant, j’allume et je passe dans le cabinet de toilette. Je me débarrasse de ma chemise et me frictionne avec une serviette-éponge. Ensuite, j’endosse un peignoir de bain qui traîne dans un coin et je reprends le chemin du lit. Ma montre indique deux heures du matin.

On dirait que l’orage s’apaise et s’éloigne. Il pleut toujours, mais moins fort. Le tonnerre n’est presque plus perceptible. Le vent souffle plus uniformément.

Tous mes sens sont en éveil et, pour si légers qu’ils soient, je distingue des pas dans le couloir. Évidemment, il serait étonnant que le tumulte de l’orage n’ait pas réveillé les occupants de la villa. Mais… mais pourquoi se déplacer avec tant de précaution ?

Je m’immobilise et j’écoute.

Les pas furtifs s’approchent de ma chambre… s’arrêtent… et la poignée de la porte tourne lentement.

Je me précipite et me plaque contre le battant, m’y arc-boutant de toutes mes forces. Je cherche des yeux un verrou, une clef, mais il n’existe rien de semblable. De l’autre côté de l’huis, quelqu’un exerce une pression. Il y a, sur la table de chevet, un lourd cendrier de métal qui peut constituer une arme efficace. Je tends le bras pour m’en emparer, sans cesser de faire obstacle à l’étrange intrusion. La table est trop loin. Tout espoir m’abandonne. L’instinct seul me fait encore résister, mais je me demande jusqu’à quand. Je pense à l’homme… l’homme qui me regardait avec convoitise… Et soudain, je m’avise que je pourrais crier, appeler à l’aide. Comment n’y ai-je pas songé plus tôt ? C’est à ce moment que l’être qui est derrière la porte dit :

— Ouvrez donc.

D’entendre parler me rassure. Je bégaie :

— Qui… qui est là ?

— C’est moi, Sonia.

— Sonia !

Mon Dieu ! je crois que je vais l’embrasser. Je pousse un soupir de soulagement, libère la porte et laisse entrer la Russe.

Son chignon est dénoué ; sa chevelure d’ébène, semée de rares fils d’argent, flotte dans son dos. Elle porte une robe de chambre bleue sur des vêtements de nuit. Elle est chaussée de pantoufles.

Elle referme soigneusement la porte sur elle, se campe devant moi, avec un affreux et douloureux sourire. Ses yeux noirs semblent lancer des flammes. Une respiration rauque fuse d’entre ses lèvres exsangues. Sa poitrine soubresaute.

— Idiote ! siffle-t-elle.

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